Alors que Picasso était en mal de sujet pour une toile commandée par le Gouvernement Républicain espagnol, la tragédie de Guernica et l'indignation qui en découle va lui donner l'inspiration créatrice. Le 26 avril 1937, la Luftwaffe bombarde la petite ville de Guernica dans le pays basque espagnol : plus de 1654 morts.
Avec cette toile, Picasso signe son engagement politique. Cette véritable évocation de l'horreur deviendra le symbole des cruautés guerrières représentées avec un réalisme froid, par ses couleurs sombres et ses expressions agonisantes qui créent une atmosphère oppressante. L'expression de personnages est figée par la douleur, comme ce soldat, qui écrasé par un cheval pris de panique, est disloqué : le bras tient l'épée tandis que la bouche, entrouverte, laisse passer le cri de la peur témoignant d'une mort à l'agonie.
Que ce soient les pleurs de cette femme, à gauche, invoquant la souffrance d'avoir perdu son enfant ou les bras en l'air de celle de droite, toutes deux regardent le ciel d'où est venue la mort en le maudissant. Tout est fait pour rendre à la représentation d'un fait historique toute sa valeur destructrice, un crime contre la vie, auprès des civils, des militaires, des êtres vivants, d'où la présence des animaux: un cheval mais aussi un oiseau déformé, comme frappé d'une balle, ou un taureau hébété dont on dit parfois qu'il incarne physiquement le mal dans cette toile. Enfin, de partout émergent les traits géométriques, anguleux, qui sont propres à l'artiste.
Au sommet de la pyramide formée par l'enchevêtrement des corps au centre, une lumière éclaire vivement l'ensemble du massacre, lui-même accentué par le travail géométrique des contours lumineux d'où cette impression d'éblouissement au centre-droit. Une lumière puissante, inégalement répartie, comme pour mieux mettre au jour et au vu de tous cette tragédie et la cruauté de ceux qui l'ont accomplie. A sa droite surgissent d'une porte mystérieuse la tête et le bras de ce qui peut être un ange, lequel constate avec effroi le déchirement des hommes. Il porte avec lui une lampe à huile qu'il place aux côtés de la lumière intérieure. Seule pénétration de l'extérieur dans un cadre délimité en huis-clos, ce visage et cette lumière, espoir qu'il apporte peut-être l'évocation de temps meilleurs. Le choix innovant, car rare chez Picasso, des couleurs sombres est compréhensible au regard de ce qu'elles évoquent.
En 1944, Picasso vit à Paris et expose certaines de ses œuvres dont Guernica. Un jour, un officier allemand entre dans sa galerie et reste devant cette toile. Surpris il demande : "C'est vous qui avait fait ça"? Picasso répond : "Non, c'est vous!".
En 1981, la toile regagne Madrid selon les volontés de Picasso qui ne souhaitait son retour au pays qu'à l'avènement de la démocratie. A la mort de Franco en 1975, la démocratie fait ses premiers pas et le pays gagne, avec elle, l'une des œuvres les plus évocatrices de l'histoire de ce siècle passé.