Après près d'un siècle de règne sur le monde Islamique, la dynastie Umayyade fut décimée lors d'un banquet par ses successeurs, les Abbasides. Abd al-Rahman, seul rescapé du massacre parvint à rejoindre l'Espagne au bout de cinq ans de fuite ; dans cette province, conquise moins de cinquante ans auparavant par le général Tarik (qui laissa son nom au Gebel al-Tarik, ou Gibraltar), il installa un califat rival de celui des Abbasides, dont la capitale fut fixée à Cordoue. Malgré d'importants problèmes, tant intérieurs qu'extérieurs (intervention militaire de Charlemagne), al-Andalus, comme l'appellent les arabes, devint le siège d'une civilisation extrêmement brilante.
La grande Mosquée de Cordoue, reste l'un des chefs d'œuvre de cette culture. Commencée en 785 sur l'ordre d'Abd al-Rahman Ier, elle connaîtra de nombreuses adjonctions, en particulier sous Abd al-Rahman II (833-852), al-Hakam (961-976) et al-Mansur en 987. Selon des sources historiques, elle aurait été bâtie sur une ancienne église chrétienne, qui fut tout d'abord, comme le veut la tradition, séparée en deux pour célébrer les deux cultes, puis rachetée entièrement aux chrétiens et arasée. Son plan se divise en une cour rectangulaire entourée d'un portique et plantée d'orangers. S'ajoute une salle de prière (haram) en photo à gauche qui finira par comporter jusqu'à 600 colonnes, formant une véritable forêt s'étendant à perte de vue, et couvrant 1,5 ha !
La mosquée balance entre tradition et innovation et est marquée par l'architecture antérieure, tant Islamique que locale. On sait en effet qu'Abd al-Rahman, le rescapé du massacre, restait très nostalgique de sa Syrie d'origine et qu'il tentait de recréer dans sa terre d'exil le faste de Damas. Ainsi importa t-il, par exemple, des fleurs et des arbres syriens pour ses jardins. Cette influence se retrouve dans la grande mosquée de Cordoue, au travers, notamment, du toit charpenté. Mais les bâtiments locaux, précurseurs des édifices arabes ont également eu une ascendance sensible : arcs en fer à cheval, colonnes en marbre bleu et rose avec leurs chapiteaux qui proviennent de palais antiques ou Wisigothiques abandonnés.
D'un autre côté, d'importantes innovations ont été réalisées dans cet édifice. C'est ainsi que pour modifier les colonnes wisigothiques, bien plus petites et plus fines que les colonnes syriennes, les architectes ont imaginé une colonnade à deux étages d'arcs. Une disposition qui confère au monument une incroyable légèreté, renforcée par le décor sobre des arcs, qui joue sur la polychromie entre les briques rouges et la pierre blanche.
Dans le décor, on note la présence de sourates du Coran en mosaïques à fond d'or. Celles-ci ont été réalisées par des mosaïstes byzantins envoyés spécialement par le basileus (empereur byzantin) Nicéphore Phocras comme " cadeau " à son homologue d'al-Andalus. Recopier le Coran, en tant que texte sacré, est un acte de foi, une insistance particulière est donc portée sur la calligraphie. Ici, il s'agit de kufique, reconnaissable à ses angles droits et à ses longues hampes. On en voit notamment sur le pourtour du mihrab.
En effet, l'élément le plus important d'une mosquée est sans doute le mihrab (en photo à gauche), niche qui sert à indiquer la direction de la Mekke (Qibla), vers laquelle le musulman se tourne pour faire sa prière. Ici, il s'agit non plus d'une niche mais d'une véritable petite pièce octogonale, qui se retrouvera dans d'autres mosquée espagnoles. Le mihrab joue ainsi pleinement sa fonction de porte ouvrant vers le monde divin. Près de lui, se trouve par ailleurs la maqsura, c'est à dire un endroit isolé réservé au souverain (et contraire à l'idéal d'égalité des musulmans), complètement architecturée avec de magnifiques arcs polylobés.
A partir du XIIIe siècle, le bâtiment fut utilisé pour installer des chapelles chrétiennes. En 1513, malgré une importante contestation, une véritable cathédrale gothique, encore présente de nos jours, vit le jour au milieu de la salle de prière.