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Quand, comment, pourquoi?

Alors que la région parisienne n'avait pas eu un rôle majeur dans le développement de l'art roman, elle va subitement dicter les nouvelles règles architecturales en à peine une génération. Derrière ce brutal sursaut, l'œuvre de l'abbé Suger marque le début d'une aventure séculière. Abbé de Saint-Denis, proche du roi Louis VI, Suger va engager l'agrandissement de sa vieille Abbaye. Ce faisant, il va tourner la page d'histoire d'un art médiéval austère et lourd qui dominait l'architecture depuis presque deux siècles. La première phase de l'art gothique est dite "primitive", elle marque la naissance de cet art, c'est une recherche d'un style, le balbutiement d'une révolution. Elle couvre tout le XIIe siècle. C'est à cette époque que les cathédrales de Senlis, Laon ou Noyon sont batties, les premières d'une longue lignée d'édifices religieux. Ces derniers monuments sont encore inspirés par l'art roman, que ce soit dans le plan (cathédrale de Noyon), les piliers intérieurs (Notre-Dame de Paris) ou de manière plus évidente par la façade comme celle de la cathédrale de Laon le montre ici.

Jusqu'à la reconstruction de l'Abbaye de Saint-Denis, l'art roman, alors dominant, empêchait de percer les murs épais d'ouvertures trop nombreuses ce qui limitait considérablement la pénétration de la lumière dans l'Eglise. Une simple ouverture de trop dans un mur pouvait provoquer l'effondrement de tout l'édifice : l'atmosphère intérieure était de fait nettement assombrie. De plus, l'espace était souvent restreint, de nombreux piliers intérieurs ou extérieurs (les contreforts) venaient soutenir le poids gigantesque de l'édifice. L'architecture romane ne favorisait pas non plus la hauteur qui était limitée et donnait parfois à certains édifices un aspect trapu.

L'art roman perdure pourtant, il plaît et possède des avantages évidents mais surtout personne n'avait trouvé les moyens d'évoluer. Personne jusqu'à l'abbé Suger, qui voulu changer l'impression que pouvait donner son Abbaye. Il voulait la reconstruire avec une spiritualité religieuse plus intense et insister sur trois aspects nouveaux qui allaient devenir les caractéristiques de l'art gothique : luminosité, hauteur, et gestion de la poussée.

Commencé dans les années 1130, l'Abbaye est achevée, dans son gros oeuvre, vers 1144 et le résultat est si étonnant que ceux qui assistent à l'inauguration de la nouvelle Abbaye sont particulièrement surpris de la différence. Ils vont alors diffuser cette nouveauté que l'on appelle à l'époque "l'art de France".

L'art gothique naît dans une époque favorable au développement de ce style. Outre une stabilité politique et un essor économique général qui favorisent toutes les entreprises, le succès si rapide de l'architecture gothique vient aussi de sa capacité à répondre à une exigence architecturale plus ambitieuse. Comme l'Abbaye de Saint-Denis nous le montre, le gothique apporte un espace en trois dimensions, éclairé par une lumière extérieure qui symbolise la présence du divin.. Mais pour obtenir un tel esthétisme entre les hommes et Dieu, il fallait résoudre un problème technique insurmontable jusque-là : faire plus haut et plus lumineux avec un poids de plus en plus important. Or l'art gothique permet de mieux répartir le poids grâce à une série de techniques ingénieuses dont la voûte à croisée d'ogive et l'arc-boutant sont les principales.

La voûte à croisée d'ogives, déjà existante avant, connaît son essor avec l'Abbaye de Saint-Denis. C'est un croisement de deux arcs qui permet d'augmenter la résistance (d'ailleurs le mot ogive vient du latin augere signifiant "augmenter"). Le schéma de droite présente la répartition habituelle de la poussée. Les différents arcs (formeret, doubleau) permettent de répartir la poussée, représentée en bleu et rouge, sur quatre points d'appui. Le poids de la voûte étant conduit par les arcs et absorbé par ces quatre points, le mur n'est plus un support mais un élément de remplissage au travers duquel les architectes percent de nombreuses fenêtres. Grâce à la voûte à croisée d'ogive, la luminosité devient désormais inséparable de l'art gothique.

Quant à l'arc boutant, il est particulièrement utilisé au XIIIe siècle. Ce système d'arcs extérieurs qui donne à la cathédrale vue de haut l'aspect d'une araignée géante, permet d'absorber la poussée extérieure des murs pour la diriger vers le sol comme le schéma de gauche l'indique. La poussée passe d'abord par l'arc reliant l'édifice à la culée, héritière des contreforts romans, et qui reçoit l'ensemble de la poussée. Cette innovation importante augmente la hauteur. Très vite, les évêques, les architectes veulent construire selon "l'art de France" et édifier la nouvelle maison de Dieu. Le temps des cathédrales sera le siècle de l'édification.