Le gouvernement
Comment assurer la fidélité des sujets, comment les informer des décisions prises par le pouvoir central et surtout garantir leur application dans un royaume aussi grand et dans lequel aucun pouvoir central n'a fidélisé l’homme à son supérieur depuis le Ve siècle?
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Les assemblées générales
Même si le père et le grand-père de Charlemagne ont contribué à raffermir le pouvoir royal, tout reste à faire. Le roi met alors au point un système politique hiérarchisé en reprenant des institutions déjà existantes. Au sommet de la pyramide du pouvoir se trouve le roi, qui chaque année au printemps, avant les campagnes militaires, convoque les grands du royaume dans l’une de ses résidences pour une réunion solennelle. Les évêques et comtes les plus importants se rendent au palais et chacun est accompagné par des "représentants du peuple" mais qui n’ont qu’un rôle de présence. Le roi ne les ignore cependant pas puisque quand il ne siégeait pas à ces assemblées générales, il était fréquent de le voir arpenter les couloirs du palais allant, ici et là, converser avec eux. De plus, son absence dans les assemblés générales ne signifiait pas qu’il laissait aux comtes et évêques une pleine liberté de décisions sur les questions politiques ou économiques à régler. Non seulement, chaque décision doit avoir l’aval du roi pour devenir exécutive mais dans certains cas et pour certaines grandes questions, le roi avait au préalable décidé de l'issue de la délibération au cours d'une réunion réduite à ses plus proches collaborateurs. L’assemblée n’est alors parfois qu’une formalité politique de confirmation.
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La diffusion des décisions
L’assemblée achevée, les décisions sont mises à l'écrit et classées par chapitres (capitula) dont l’ensemble forme les fameux capitulaires qui tentent d'établir un droit écrit commun. Ces capitulaires sont remis aux représentants présents pour qu’ils les diffusent dans leur circonscription d’origine. Le royaume est en effet divisé en "pagi" ou comtés qui correspondent aux anciennes divisions territoriales romaines. Chaque "pagus" est administré par un comte et un évêque, un système de partage du pouvoir qui engendre souvent des tensions perceptibles entre les deux autorités. Le comte, aidé d’un vicaire, devait assurer l’ordre, rendre justice et percevoir impôts et amendes. Il est choisi et révoqu
é par le roi mais sous Charlemagne, les comtes tendent à être inamovibles, ce qui s’amplifiera par la suite au IXe siècle.
Mais il serait bien naïf de penser que tous allaient assurer les frais de déplacement chaque année comme de croire en l’application stricte et assidue des capitulaires du roi. Charlemagne n'a pas réussi à imposer le droit commun à tout son royaume et c’est là l’aspect le plus noir de son gouvernement. A côté d’un pouvoir central fort et organisé, l’application des capitulaires reste parfois sommaire ou partielle. Par intérêt personnel, par corruption, par désintérêt, ils n’ont pas toujours l’effet escompté auprès des pouvoirs locaux. De plus le peuple préfère la protection de leur maître plutôt que celle d’un roi lointain que l’on a jamais vu et dont on ignore parfois même le nom d’ou l’utilité des missi dominici, les envoyés du maître.
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Les missi dominici
Cette institution, déjà existante sous Pépin le Bref et systématisée en 789 par un capitulaire, permet de diffuser les ordres du roi et de veiller à leur respect. Il s’agit généralement de deux ou trois hommes, comtes ou évêques, mais toujours représentatifs des deux pouvoirs (spirituel et temporel). Ils inspectent un comté voisin au leur au moins deux fois par an et règlent parfois un litige judiciaire qui avait été laissé en suspens par la justice locale (voir représentation illustrée). Les missi sont l’organe de contrôle le plus efficace pour garantir l’unité politique voulue par le roi. En cas de non respect des décisions royales, ils sont habilités à sanctionner d’une amende le fautif. Un comte contrôlé une année peut devenir missi l’année suivante.
A côté de cet acharnement à vouloir restaurer un ordre moral et politique mort depuis plus de trois siècles, il existe donc une réalité qui démystifie la réalité législative d'un roi qui n’a pas toujours pu imposer aux hommes sa volonté. Certes le pouvoir politique prend sous Charlemagne une véritable force. Cependant si son organisation centrale soutenue par les "missi" joue l’apparence de l’efficacité, son œuvre reste insuffisante pour changer véritablement les choses. Si la guerre a permis d’unifier géographiquement l’Europe occidentale, elle a aussi contribué, par l’agrandissement des régions à gérer, à multiplier les difficultés. Le mérite de Charlemagne reste d’avoir essayé. Dans ce grand mouvement réformateur d'une société piégée entre immobilisme, barbarie et réformes la culture et l'enseignement ont été un chemin d'action politique de Charlemagne.