La première grande révolution architecturale qui donnera enfin au château ses lettres de noblesse est due au retour de la pierre dans la construction des édifices en général. Bien que certains soient plus précoces comme l’abbaye St Martin de Tours, c’est au XIe siècle que la pierre commence à se répandre, dans la mesure où les seigneurs ont les moyens de payer l’extraction, le traitement, parfois le transport de la pierre. Toujours à partir de la configuration du château à motte classique, le visage du site change. La volonté de défense et de puissance est aussi perceptible que l’intelligence avec laquelle la nouvelle génération de château est construite. La motte devient un donjon qui se présente comme une haute tour à vocation résidentielle. Son accès se faisait uniquement par le premier étage, le rez-de-chaussé étant aveugle de toute ouverture pour éviter de faciliter l’éventuel assaut. La basse cour existe toujours, entourée par une courtine aux murailles entrecoupées de tours dont le nombre est très variable. Cette configuration sera définitivement adoptée par la suite. A titre d’exemple, le château de Gisors, ici sur la photographie, illustre ce nouveau type d’architecture militaire. Construit au XIe siècle, il marque la transition entre la configuration d’un château à motte et l’apport de la pierre.
A côté de l’évolution du type de matériau utilisé, le progrès de l’architecture militaire à cette époque vient également de l’évolution formelle des principaux composants du château. Parmi eux, les tours commencent à abandonner la forme rectangulaire pour s’orienter dès le début du XIIe siècle vers l’arrondi ce qui accentue nettement leur fonction défensive en les rendant plus résistantes aux divers projectiles qui peuvent venir s’écraser sur elles et créer ainsi une ouverture qui servirait d’entrée à la troupe. Or, une façade arrondie faisant ricocher les blocs, les risques d’écroulement sont alors limités, de même l’effet de destruction est moindre. Mais ce n’est que sous l’impulsion du roi Philippe Auguste (1180-1220) que cette forme se généralise et remplace les tours rectangulaires. Autre aspect militaire important de la tour, sa hauteur, qui lui permet de surplomber le chemin de ronde et de pouvoir ainsi, en cas de chute du château, continuer la défense depuis un point qui commande les assaillants.
Le chemin de ronde, qui permet un déplacement rapide sur l’ensemble du site, donne surtout accès à une autre invention redoutable : les hourds, à droite. Construits en bois et apparus au XIe siècle avec les premiers châteaux de pierre, les hourds forment une légère avancée à l’extérieur de la courtine qui le retient. De là, il était facile de jeter aux assaillants en contrebas des pierres par des ouvertures disponibles au sol ou des flèches par des meurtrières. Véritable petite forteresse en hauteur, ingénieux système défensif, les hourds ont la capacité de rendre les châteaux particulièrement difficiles à prendre. Associée aux hourds qui les soutient, la courtine voit sa forme évoluer pour aboutir à l’image classique désormais connue d’une succession de créneaux et de merlons qui permettent de riposter &
agrave; travers le premier pour se cacher ensuite derrière le second. Dans leur partie inférieure, les courtines étaient parfois étudiées pour amplifier l’effet défensif des hourds par l’inclinaison de la base du mur. Lorsque la pierre chutait des hourds, elle venait s’écraser sur cette inclinaison et éclatait en plusieurs petits morceaux, ce qui engendrait des dégâts plus importants. Cette évolution est aussi vraie pour les châteaux isolés que pour les grandes villes médiévales. La ville de Provins en Seine-et-Marne offre d’ailleurs un très bel exemple de conservation de l’architecture militaire du XIIIe siècle. L’image ci-contre montre l’état actuel de ses murailles et à défaut de pouvoir observer de potentiels hourds disparus, on perçoit nettement la succession des tours qui démontrent l’évolution de ses formes ainsi que l’inclinaison du bas du mur.
Devant une telle progression des techniques de défense, rares sont les châteaux qui tombaient suite aux attaques. Or la rapidité était parfois indispensable dans l’attaque d’un site donné afin d’éviter l’arrivée de potentiels renforts ennemis. La plupart du temps, la chute d’un tel édifice résultait, au-delà de la famine engendrée par le siège, de la ruse ou d’une trahison d’un membre du château. Château Gaillard en Normandie, un chef d’œuvre d’architecture militaire du début du XIIIe siècle a ainsi été pris par Philippe Auguste, alors roi de France, suite à la pénétration de ses soldats par une fenêtre non surveillée.