Clio et Calliope
La culture en un clic

. . . . .












































Le passage de la mer rouge, le récit biblique

La lecture du passage de la traversée, dans la Bible, est plutôt frappante dans la mesure où on peut voir des incohérences en ce qui concerne à la trame narrative : par exemple, Dieu reproche à Moïse de crier vers lui, alors que ce dernier reste muet… et que c’est le peuple qui proteste. De même, les rôles respectifs de Moïse et de Dieu ne sont pas clairement définis : c’est tantôt l’un, tantôt l’autre qui prend l’initiative de l’action, et parfois même à propos d’un même événement... Pourtant, cela ne tient pas à une éventuelle négligence de l’auteur mais à l’origine du récit biblique : ce dernier est en fait constitué par l’entrelacement de deux textes d’origines et donc de préoccupations différentes. En effet, la mise par écrit de cet épisode n’est établie que bien des siècles après l’événement historique, entre les IXe et le Ve siècles, date du retour d’exil : jusque-là, la transmission était orale ce qui laisse quatre siècles pour déformer une histoire.

· Le texte le plus ancien, apparaît lui-même composite si on prête attention aux détails. Le récit se déroule en quatre étapes. D’abord, on a à faire à la réaction des Egyptiens, qui s’interrogent sur le départ du peuple d’Israël : ils se demandent en effet s’il s’agit d’une fuite ou si quelqu’un a osé les laisser partir. Cependant, la poursuite s’organise. Ensuite, le texte s’attache à la réaction des Israélites : la peur s’emparant d’eux, ils s’adressent à Dieu et accusent Moïse de leur malheur, se croyant perdus à la vue de l’armée égyptienne qui les rattrape… et de l’impossibilité de fuir plus loin : la mer les en empêche… Mais Moïse annonce le salut divin à venir. Le récit évoque alors un événement merveilleux : une colonne de nuée qui se met en les camps égyptien et israélite, avant que le vent n’assèche la mer. Les Egyptiens, après s’y être engagés, sont engloutis par le retour des eaux. Le texte ne dit pas si Israël a pu passer la mer. Mais ce qui importe, c’est la conclusion : le peuple " voit " et " croit "…

· Le récit le plus récent est organisé de façon différente : Dieu s’adresse à Moïse, lui annonçant ses intentions et son "  plan d’action " pour vaincre Pharaon. Ainsi, Israël reviendra sur ses pas, " endurcira " le cœur de Pharaon, sera victorieux des Egyptiens et manifestera sa gloire. Puis Moïse passe du statut d’interlocuteur de Dieu à celui de guide du peuple : Dieu s’adresse à lui à l’impératif pour lui signifier sa mission. Sur lui seul repose l’exécution des paroles divines, il est donc l’acteur principal. Ainsi, à la différence du premier récit, Dieu agit non plus seul, mais par un intermédiaire. La relation entre Moïse et Dieu s’inscrit dans la confiance : la victoire des Hébreux dépend de l’obéissance aux paroles de Dieu. La figure de Moïse passe donc au premier plan même si la source de puissance demeure en Dieu : c’est lui qui endurcira le cœur de Pharaon, c’est lui qui transmettra la révélation des gestes qui sauveront Israël.

Cependant, si nous avons à faire à des récits différents, le texte biblique en son entier est constitué de leur combinaison. Entrelacés de cette manière, les deux narrations forment un texte qui offre une trame narrative similaire à celle du conte : ainsi on retrouve le méfait initial, la poursuite du héros (Moïse et les Hébreux) par l’agresseur (Pharaon et les Egyptiens), le passage d’un obstacle (la Mer Rouge), enfin, la punition de l’agresseur et la reconnaissance du Héros. Mais… qui est le héros, Dieu ou Moïse ? Le récit n’offre pas de réponse nette.