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Le passage de la mer rouge, vu par Gautier

Au fil des siècles, le récit biblique va être réécrit maintes et maintes fois : les écrivains vont reprendre à leur compte ce récit fondateur, et il devient intéressant de voir les modifications et les choix d’écriture par rapport au récit originel. Car mettre un passage de la Bible dans un roman par exemple, c’est le faire passer d’un statut religieux à un statut littéraire ou artistique. C’est ce qui se passe dans Le Roman de la momie de Théophile Gautier (1857), qui offre une réécriture du passage de l’Exode. Ce livre appartient à un type de fiction littéraire s’inspirant de l’essor de l’archéologie égyptienne qui multiplie les découvertes de momies le plus souvent de sexe féminin dont l’archéologue tombe amoureux et qu’il veut arracher à son sommeil pourtant éternel. L’Europe du 19ème siècle a été fascinée par l’Orient, par ces " pays d’or, d’argent et d’azur " dont parle Gautier dans les Beaux-Arts en Europe. Les voyages en Egypte sont fréquents, et prennent l’allure de véritables expéditions, s’inscrivant dans le cadre d’une nouvelle science, l’égyptologie. Et tandis que les études, les expositions, les découvertes se développent, on se met à rêver de l’Egypte, mais d’une Egypte plus imaginaire que réelle. Cet imaginaire, Gautier va le trouver pour sa part dans la Bible, du moins en partie, puisqu’il réécrit le passage de la Mer Rouge par les Hébreux, en lui donnant les dimensions de l’épopée. En effet, il amplifie et magnifie les événements tels qu’ils sont racontés dans le texte biblique : la description de l’épisode est développée à loisir.

En effet, alors que la Bible ne s’attache qu’au déroulement de l’épisode, Gautier rajoute un cadre géographique grandiose qui lui permet de peindre une Egypte mystérieuse et surhumaine, ou plutôt inhumaine. L’action se situe dans le désert : il s’agit d’un lieu bien différent et éloigné de la grandiose Egypte de l’imaginaire romantique. Il est inhospitalier au possible et renvoie à un temps mythique des origines ; on peut par exemple lire que l’action se situe au moment où " la terre était encore à l’état de limon, au jour où le monde émergeait du chaos"… De plus, la terre semble vivante, et devient même comparable à un être humain :  " la terre écorchée laissait voir ses os ". Cette comparaison accentue l’impression hostile qui se dégage de ce milieu car c’est une vision de souffrance qui nous est offerte, où la couleur du sang prédomine :  " écorchée ", " os ", " brume rousse ", " narines sanglantes " sont autant de qualificatifs que l’auteur choisit pour qualifier l’environnement. Il n’y a en fait pas de place pour les êtres mortels dans cet endroit qui semble être le royaume du dieu-soleil : dès lors, il semble que seul Pharaon, demi-dieu, puisse survivre.

Ainsi Gautier recrée t-il le cadre de l’action de manière métaphorique. De plus, il introduit des éléments nouveaux par rapport au récit biblique : il lui donne une tournure romanesque. Ces rajouts permettent aussi de donner une cohérence et une vraisemblance aux événements. De plus, ils retardent l’instant tragique où les Egyptiens seront noyés, tandis que dans le récit biblique, le dénouement est annoncé dès les premières lignes. L’enjeu n’est donc pas du tout le même entre les deux textes : dans le dernier cas, il s’agit de faire éclater la grandeur de Dieu, et c’est du peuple hébreu dont il est question. Dans l’autre cas, il faut accrocher le lecteur à travers une description grandiose de l’Egypte ancienne, mais aussi à travers l’entretien d’un certain suspense : l’épisode de la mer Rouge prend une tournure surnaturelle et effroyable, mais il n’est pas réellement question de Dieu… si ce n’est par le prodige accompli.

De la Bible au roman, l’écriture change en fonction de ce que l’auteur veut prouver et de l’inspiration de son siècle : écrire un texte à partir d’un modèle fondateur n’est donc pas à comprendre comme une imitation mais comme une ré-interprétation et une véritable invention.