Dans le sillage de Nodier, d'abord, puis d'Hoffmann, le fantastique s'est donc développé partout, aussi bien en littérature, puisque outre les auteurs dont nous avons parlé, de nombreux contes d'écrivains moins célèbres s'épanouissent dans les revues, qu'en musique et en peinture. Après 1832 cependant, date à laquelle Nodier publie la Fée aux miettes, c'est un nouveau type de fantastique qui se développe, les récits s'inscrivent plus profondément dans le réel et ne constituent plus tant une échappatoire que la mise en question d'une réalité décevante.
Théophile Gautier (1811-1872), surtout connu pour Le Capitaine Fracasse, qui a obtenu un gros succès en 1863 ou Emaux et camées, a aussi été dans sa jeunesse un auteur fantastique prolifique. Ainsi a-t-il écrit de nombreuses nouvelles fantastiques avec comme thème principal "celui de l'amour rétrospectif, tendant à faire revenir par tout moyens, ceux du rêve, de la rêverie, du magnétisme ou du spiritisme, une morte d'autrefois"7 . Nous sommes donc toujours dans cet étrange rapport entre le rêve et la réalité, ce mélange assez angoissant de réalisme et de surnaturel. A travers ses nouvelles, Gautier utilise l'histoire pour créer un univers à part en s'attachant à des périodes phares : l'Egypte ancienne, la Rome antique, la Renaissance italienne, dont il sait utiliser l'ambiance particulière pour faire basculer le lecteur du réel dans le rêve, à la recherche de la femme merveilleuse, pure expression de la beauté. Le pouvoir du désir seul fait revenir l'aimée disparue et cette fuite hors de la réalité permet un amour sans contraintes. Mais cet amour qui défie le temps et la mort est illusoire et la compensation fantasmatique finit par devenir frustration si elle ne sombre pas l'horreur. On retrouve ces schémas chez d'autres auteurs que Gautier, en particulier Edgar Poe et Villiers de l'Isle-Adam (Véra, L'Eve future).
Mérimée est, lui, surtout connu pour ses récits fantastiques et parmi eux La Vénus d'Ille. On lui a beaucoup reproché son art de la mesure et il est vrai qu'il est plus précis, plus carré, plus clair que Nodier. Les limites du surnaturel sont mieux circonscrites chez lui mais il n'en garde cependant pas le moins angoissant, au contraire, c'est peut-être lui qui soulève le plus efficacement chez ses lecteurs le sentiment "d'inquiétante étrangeté" dont parlera Freud à propos d'Hoffmann.
"Nodier fait profession de croire ce qu'il conte ; Gautier construit esthétiquement une histoire; Balzac songe aux extraordinaires virtualités dont l'homme dispose; Mérimée doute."
8
Voila la particularité de Mérimée, il laisse toujours peser le doute et quoiqu'il éclaire les manifestations surnaturelles de ses récits avec objectivité, aucune affirmation ne peut jamais être faite. C'est sûrement Mérimée qui correspond le mieux à la définition du fantastique que nous avons donné en préambule.
Enfin, pour finir ce tour de France sommaire9 du fantastique entre 1820 et 1885, parlons de Maupassant, sûrement le plus célèbre avec Poe :
"Chez Maupassant, en effet, l'irruption du surnaturel dans le quotidien, s'il inspire la terreur, met surtout en évidence la fragilité psychologique de l'être humain."
Pour finir, le plus intéressant est de laisser parler Maupassant lui-même, tant la qualité de son point de vue définit bien le fantastique à la fin du XIXe avant qu'au XXe ne se développe massivement le "fantastique de la présence" dans lequel le surnaturel se manifeste ouvertement. Lovecraft, Stephen King, Bram Stoker et son Dracula et à sa suite Ann Rice et le cycle d'Entretien avec un vampire méritent un article à eux seuls.
Guy de Maupassant, Chroniques, "Le Fantastique", 1883. : "Quand l'homme croyait sans hésitation, les écrivains fantastiques ne prenaient point de précautions pour dérouler leurs surprenantes histoires [...]Mais quand le doute eut pénétré enfin dans les esprits, l'art est devenu plus subtil. L'écrivain a cherché les nuances, a rôdé autour du surnaturel plutôt que d'y pénétrer. Il a trouvé des effets terribles en demeurant sur la limite du possible, en jetant les âmes dans l'hésitation, dans l'effarement. Le lecteur indécis ne savait plus, perdait pied comme une eau dont le fond manque à tout instant, se raccrochait brusquement au réel pour s'enfoncer tout aussitôt, et se débattre de nouveau dans une confusion pénible et enfiévrante comme un cauchemar."
En conclusion, il faut bien reconnaître que le fantastique en tant que genre ne se laisse pas facilement définir, et qu'il s'agit plus d'une notion littéraire dont des auteurs très différents se sont saisis à tour de rôle, pour refléter des angoisses et des peurs liées autant à leur personnalité qu'à des moments de l'histoire bien particuliers. Dans cette perspective, le fantastique est donc à envisager au cœur de toute la littérature de l'étrange, entre le merveilleux et la science-fiction, et surtout en rapport avec le septième art qui de sa naissance avec des films comme Metropolis ou Le Cabinet du docteur Caligari à aujourd'hui avec les adaptations cent fois renouvelées du mythe du vampire et de Frankenstein, s'est abreuvé de la littérature fantastique.